À rebours des dogmes économiques gravés dans le marbre, nombre de sociétés collectivistes ont jonglé avec le paradoxe : entreprises publiques et marchés privés coexistent sans forcément s’annuler. Certains États, tout en prônant la gestion collective, laissent place à une part de propriété privée ou à un brin de concurrence dans des domaines ciblés. Cette mosaïque a permis d’accélérer l’industrialisation à marches forcées, mais a aussi engendré des ratés : innovation sous contrainte, files d’attente, pénuries persistantes.À travers l’histoire, des pays ont tenté l’expérience, chacun forgeant sa propre variante. Les modèles, qu’ils soient nés d’un grand soir ou de compromis prudents, dessinent des choix politiques profonds. C’est là que se jouent la façon de répartir les richesses, d’organiser la production et de repenser la place de l’individu dans l’économie.
Qu’est-ce qu’un système économique collectiviste ? Définition et grands principes
Le collectivisme désigne un système économique où la propriété collective des moyens de production l’emporte sur la propriété privée. On prend ici le contre-pied de la réussite individuelle : ce qui compte, c’est une répartition équitable des richesses produites par tous.
Pour comprendre ce modèle, trois axes principaux : socialiser les moyens de production, mettre le travail au service de l’intérêt général, et remettre profondément en cause la propriété privée lorsqu’il s’agit de ressources stratégiques. L’État occupe une place centrale, orchestrant la gestion collective. Mais cette gestion peut aussi être confiée à des coopératives ou à des structures de l’économie sociale et solidaire.
Voici les piliers qui structurent ce modèle :
- Propriété collective : terres, usines, infrastructures relèvent de la collectivité, qui en assure la gestion via l’État ou les collectivités locales.
- Socialisation des moyens de production : les choix en matière de production et de distribution émanent de la collectivité.
- Démocratie économique : implication directe des travailleurs et des citoyens dans les prises de décision.
En France comme en Europe, le collectivisme a pris différentes formes, souvent circonscrites à des secteurs spécifiques : l’énergie, les transports, les services publics. Karl Marx y voyait le socle d’une société plus juste, là où la propriété privée des moyens de production est bannie. Mais le collectivisme ne se limite pas à la doctrine marxiste. Des mouvements issus de l’économie sociale ou du socialisme démocratique tentent de combiner propriété collective et gestion locale, dessinant des modèles hybrides d’organisation sociale.
Le collectivisme face aux autres modèles économiques : quelles différences majeures ?
Le collectivisme tranche nettement avec le capitalisme et l’économie de marché. Là où le capitalisme fait primer la propriété privée des moyens de production, le collectivisme vise la gestion collective. Ce clivage n’est pas qu’idéologique : il influe sur l’organisation sociale, la façon de produire et de distribuer les biens.
Dans une économie de marché, la libre concurrence et la quête du profit individuel pilotent les échanges. La privatisation, moteur du néolibéralisme, donne aux acteurs privés la main sur des secteurs clés : énergie, transports, santé. À l’opposé, le collectivisme met l’État ou les collectivités au centre du jeu, visant un accès égal aux services publics et cherchant à juguler la spéculation.
Pour mieux cerner les différences, on peut pointer :
- Dans le capitalisme, la valeur d’un produit ou d’un service s’ajuste sur le marché. Les prix suivent l’offre et la demande.
- Dans une société collectiviste, la production et la distribution découlent d’une politique économique planifiée, parfois débattue collectivement. L’enjeu : répondre aux besoins de tous, sans s’en remettre au marché seul.
Des penseurs comme Walter Lippmann ou Maurice Allais ont analysé ces lignes de fracture. En France, l’équilibre reste précaire : intervention publique, puis ouverture à la logique de marché, le curseur n’a jamais cessé de bouger. La tension entre État providence et privatisation anime sans relâche le débat sur les biens communs et la propriété.
Fonctionnement concret : comment s’organisent la production et la répartition dans un système collectiviste
Dans un système économique collectiviste, la gestion collective prévaut sur l’initiative individuelle. Décisions majeures, orientations, répartition des ressources : tout peut passer par l’État, les collectivités locales ou des coopératives. La planification s’élabore à grande échelle, mais se décline aussi localement pour s’adapter aux besoins du terrain.
La production s’effectue via des entreprises publiques, des coopératives ou des mutuelles. Les travailleurs, souvent réunis en assemblées, participent aux choix clés, à la répartition des tâches et à la gestion au quotidien. Le profit individuel s’efface : l’allocation des ressources s’appuie sur des critères collectifs, l’intérêt général, la qualité du travail ouvrier.
Plus concrètement, cela se traduit par :
- Une planification centralisée qui attribue matières premières, énergie et équipements selon des priorités nationales ou régionales.
- Une répartition des biens produite selon des critères d’équité, débattus dans des instances où siègent travailleurs, syndicats et parfois consommateurs.
- Une démocratie économique donnant aux membres des structures un droit de regard sur la gestion et la distribution des excédents.
La socialisation des moyens de production bouleverse la relation au travail et à la propriété : chacun devient acteur du système productif. Cette organisation, expérimentée sur certains secteurs en France et ailleurs en Europe, confère aux collectifs un poids déterminant, au détriment de la main invisible du marché.
Des exemples historiques et actuels pour mieux comprendre les enjeux du collectivisme
Le collectivisme n’est pas un mirage théorique : il s’est incarné dans des expériences concrètes, parfois conflictuelles, toujours révélatrices. L’URSS des années 1920-1930, héritière de la Révolution russe de 1917, reste un exemple marquant. Nationalisation de l’industrie, planification gérée par le Gosplan, création des kolkhozes agricoles : tout est mis en œuvre pour organiser la production hors du marché, suscitant autant d’espoirs que de polémiques, surtout au vu des dérives autoritaires.
La Chine maoïste a suivi une voie parallèle, généralisant la propriété collective des terres et la planification sur plusieurs années. Mais la palette du collectivisme va bien plus loin : en France, l’après-guerre a vu la nationalisation de pans entiers de l’économie, énergie, transports, banques, et l’émergence de services publics accessibles à tous. La Commune de Paris de 1871 a tenté, le temps d’une parenthèse, d’instaurer une démocratie économique radicale, marquant durablement l’imaginaire social et syndical.
Voici quelques exemples de structures qui appliquent ou ont appliqué ces principes :
- Les kibboutz israéliens, pionniers depuis un siècle dans la propriété collective et la gestion démocratique du travail.
- Au Québec, Hydro-Québec illustre la réussite d’une entreprise publique collective, au service de l’intérêt général.
La coopérative, en Europe notamment, reste un levier fort de l’économie sociale et solidaire : elle conjugue autogestion et utilité collective. Tous ces exemples, loin d’être monolithiques, montrent la diversité des façons de mettre en commun les moyens de production. Il suffit d’observer les débats contemporains pour saisir à quel point cette question, qui possède, qui décide, qui profite, reste brûlante.


